30

Il etait tres precisement minuit passe de vingt minutes lorsque Constance Greene sortit de la lingerie situee a tribord arriere du pont 9. Son chariot devant elle, la jeune femme se dirigea vers le triplex Penshurst. Cela faisait pres de deux heures qu’elle attendait dans la lingerie en feignant de s’occuper. Elle avait entrepris de plier et replier draps et serviettes avant d’arranger les savons, les flacons de shampooing et les tubes de dentifrice dans leurs petits paniers, impatiente que Scott Blackburn sorte de sa suite et rejoigne le casino. La porte du milliardaire etait restee close toute la soiree et Constance commencait a desesperer lorsque Blackburn avait enfin montre le bout du nez : le temps de jeter un coup d’oeil a sa montre et il s’etait elance en direction des ascenseurs d’un pas vif.

La jeune femme immobilisa son chariot a l’entree de la suite et passa la main sur son uniforme en se donnant du courage, puis elle sortit le passe magnetique que lui avait confie Pendergast et le glissa dans la fente du lecteur de carte. Un cliquetis lui indiqua que le verrou se desengageait. Elle poussa le battant et tira son chariot a l’interieur de la suite le plus silencieusement possible.

Elle referma la porte sans faire de bruit avant de se reperer. La cabine Penshurst etait l’un des deux seuls triplex du Britannia, une suite de deux cent cinquante metres carres particulierement soignee. Contrairement aux chambres, toutes situees dans les deux niveaux superieurs, le salon, la salle a manger et la cuisine se trouvaient la.

Rapportez-moi le contenu de sa poubelle, lui avait recommande Pendergast, et Constance regarda autour d’elle.

Faute de savoir combien de temps Blackburn comptait passer au casino - si c’etait bien la qu’il se rendait -, Constance disposait d’un laps de temps limite. Elle consulta sa montre, constata qu’il etait minuit et demi, et decida de s’accorder un quart d’heure.

Elle traversa la petite entree en poussant son chariot et jeta un regard curieux autour d’elle. Mis a part les garnitures de bois precieux, la suite etait tres differente de celle qu’elle partageait avec Pendergast. Blackburn avait tenu a s’entourer de nombreux objets de ses collections : des tapis tibetains en soie et en laine de yak habillaient le sol, des toiles cubistes et impressionnistes dans des cadres charges pendaient aux murs, un piano Bosendorfer en acajou tronait dans un coin du salon, des sculptures de toutes sortes etaient disposees sur les tables et les consoles comme sur les rayonnages. Un grand mandata aux dessins complexes pendait au-dessus de la cheminee, pres d’une lourde armoire de teck qui luisait doucement dans la lumiere tamisee.

Constance s’en approcha, abandonnant son chariot derriere elle. Elle caressa longuement le bois poli d’un air pensif, puis elle ouvrit la porte de l’armoire et decouvrit un coffre metallique qui occupait presque tout l’espace interieur du meuble.

Elle recula de quelques pas en se demandant si le coffre etait assez grand pour contenir l’Agozyen.

Elle decida que oui, repoussa la porte de l’armoire et tira de son tablier un chiffon a l’aide duquel elle essuya l’endroit ou elle avait pose les doigts. Sa premiere mission accomplie, elle examina a nouveau les lieux et consigna dans sa memoire le detail des collections pour le moins disparates de Blackburn.

Elle repartait chercher son chariot lorsqu’elle s’arreta au pied de l’escalier en entendant un bruit sourd, mais distinct, en provenance des etages. Elle tendit l’oreille : un ronflement etouffe lui parvenait a travers la porte entrouverte de la chambre situee au premier.

La suite n’etait donc pas vide. La femme de chambre de Blackburn, sans doute.

Sa presence allait singulierement compliquer la mission de Constance qui poussa doucement son chariot en veillant a ne pas faire s’entrechoquer les balais. Elle gara l’engin au milieu du salon et entreprit de vider les poubelles et les cendriers dans le sac accroche a la poignee. Laissant le chariot ou il se trouvait, elle repeta l’operation dans la salle a manger, puis a nouveau dans la cuisine. La femme de chambre de Blackburn devait etre consciencieuse car les poubelles etaient quasiment vides.

De retour dans le salon, Constance s’accorda une minute pour reflechir. Vider les poubelles des etages serait trop dangereux, elle risquait de reveiller la femme de chambre et de provoquer une scene desagreable. Et puis elle savait ce qu’elle voulait savoir puisqu’elle avait decouvert le coffre et vu les collections du milliardaire. Le mieux etait encore de s’en aller.

Elle se dirigeait vers l’entree de la suite lorsqu’un detail attira son attention. Alors que les meubles et les objets d’art etaient d’une proprete parfaite, un epais voile de poussiere recouvrait le sol le long des plinthes. La femme de chambre de Blackburn ne donnait pas l’impression d’etre fanatique de l’aspirateur. Constance se mit a genoux, passa un doigt au pied d’une plinthe et constata avec surprise qu’il ne s’agissait pas de poussiere ordinaire, mais de poussiere de bois.

Elle posa les yeux sur l’aspirateur sans fil accroche a son chariot. Elle etait sure de reveiller la femme de chambre si elle le mettait en route, mais qu’importait apres tout ? Elle decrocha l’aspirateur, remplaca le sac a moitie plein par un neuf, s’approcha du mur, mit l’appareil en route et aspira le plus de poussiere de bois possible en s’attardant sur les plinthes.

Un bruit de pas se fit entendre au-dessus de sa tete.

— Qui est la ? demanda une voix endormie.

Constance, feignant de n’avoir pas entendu a cause du vacarme, poursuivit tranquillement sa tache en passant l’aspirateur sur le tapis de l’entree a la recherche de cheveux et de fibres textiles.

La voix reprit de plus belle.

— He ! Qu’est-ce que vous faites ?

Constance se releva, arreta l’aspirateur et se retourna. Au pied de l’escalier, une petite femme ronde d’une trentaine d’annees, vetue en tout et pour tout d’une grande serviette-eponge qu’elle maintenait serree contre elle d’un bras grassouillet, la regardait d’un air courrouce.

— Qu’est-ce que vous faites ici ? repeta-t-elle.

Constance lui fit une courbette.

— Desolee de fous avoir refeillee, madame, repondit-elle avec un fort accent germanique. La femme de menage qui s’occupe de fotre cabine a eu un accident, c’est moi qui la remplace.

— Mais enfin, il est minuit passe ! s’enerva son interlocutrice d’une voix aigue.

— Desolee, madame, mais on m’a dit de nettoyer la suite quand il n’y afait perzonne.

— M. Blackburn a pourtant demande expressement a ce que personne ne fasse le menage ici !

Au meme instant, un bruit se fit entendre derriere Constance : le claquement reconnaissable d’une carte magnetique dans le lecteur de la porte. La femme de chambre, le souffle coupe par la peur, remonta l’escalier a toute vitesse au moment ou s’ouvrait la porte en laissant passer Blackburn, une pile de journaux sous le bras.

L’aspirateur a la main, Constance le vit penetrer dans la suite, petrifiee.

Il s’arreta net en l’apercevant et plissa les paupieres, puis il fit demi-tour, referma la porte a double tour et traversa la petite entree en jetant ses journaux sur une table basse.

— Qui etes-vous ? demanda-t-il en continuant de lui tourner le dos.

— Je fous demande pardon, monzieur, je zuis la femme de chambre.

— La femme de chambre ?

— La noufelle. Juanita… c’est la collegue qui faisait fotre zuite avant, elle a eu un accident, alors on m’a demande de…

Blackburn se retourna brusquement et la fit taire d’un regard. Un regard d’une intensite effrayante, a la fois brutal et determine, a laquelle se melait de la peur, ou peut-etre du desespoir.

Constance se reprit,

— Je zuis desolee de fenir si tard. J’ai du faire ses suites en plus des miennes, ca m’a pris plus de temps que prefu. Et je croyais qu’il y avait personne, sinon j’aurais jamais…

Au moment ou elle s’y attendait le moins, il lui agrippa mechamment le poignet et l’attira a lui. Constance poussa un cri de douleur.

— C’est des conneries, eructa-t-il d’une voix mauvaise, le visage a quelques centimetres de celui de la jeune femme. J’ai donne des instructions precises ce soir meme en specifiant bien que personne n’etait autorise a nettoyer cette suite en dehors de ma propre femme de chambre.

Blackburn accentua la pression et Constance etouffa une plainte en tentant de se defendre.

— Je fous en prie, monzieur. Personne m’a dit. Si fous foulez pas que je nettoie, je m’en fais tout de zuite.

Le milliardaire posa sur elle un regard d’une telle cruaute qu’elle baissa les yeux, mais il serrait de plus en plus fort et elle eut peur un instant qu’il ne lui brise le poignet. Soudain, il la repoussa avec force et elle tomba en arriere en faisant voler le petit aspirateur sur le tapis.

— Fous-moi le camp d’ici, gronda-t-il.

Constance se releva, ramassa son aspirateur et epousseta machinalement son tablier, puis elle passa hativement a cote de lui en s’ecartant le plus possible, raccrocha l’aspirateur, se precipita vers l’entree en poussant son chariot et deverrouilla la porte. Au moment de franchir le seuil, elle vit du coin de l’oeil Blackburn se ruer dans l’escalier en insultant sa femme de chambre.

[Aloysius Pendergast 08] Croisière maudite
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